Bernard Langlois était présentateur du journal de la mi-journée sur Antenne 2 en 1982. Voici un extrait de son ouvrage Résistances (Éditions La Découverte, 1987) rappelant les faits:
« Dans la nuit mercredi à jeudi (15 septembre 1982), deux morts illustres: celle de la princesse Grâce de Monaco; celle du président libanais Béchir Gemayel. [...]
Me voici dans mon bureau, avec mes deux morts sur les bras, et passablement ennuyé: par qui vais-je commencer? Comment "ouvrir" le journal? [...]
Je vais prendre ma décision seul, car j'estime qu'elle relève de ma responsabilité. Je choisis de commencer le journal par un long éditorial où j'évoquerai, en parallèle, les deux morts en même temps. Exercice de style difficile, périlleux même, mais où je vois l'occasion d'aller plus loin que l'information brute, de mettre ces deux faits en perspective, de provoquer une réflexion des téléspectateurs. [...] »
« Il était jeune - 34 ans -, il était intelligent et volontaire, ambitieux et inquiétant tout à la fois. Élu, voici vingt-trois jours, président de la République libanaise, il aura eu juste le temps de savourer l'ivresse de la victoire, mais pas celui d'accéder à la réalité du pouvoir. C'est dans neuf jours que Béchir Gemayel devait devenir officiellement président du Liban. Sa mort - hier-, dans un attentat, risque fort de rallumer très vite les feux mal éteints de la guerre civile. Malheureux pays.
» Elle n'était plus très jeune - 52 ans. Elle était toujours belle, dans sa maturité de femme épanouie, passée sans transition de la célébrité sulfureuse d'Hollywood à celle, respectable, du gotha. Curieux destin que celui de Grâce Kelly, actrice talentueuse distinguée par un prince, qui lui offrit un jour sa main, sa couronne, et de partager son trône planté sur un caillou cossu, dans un royaume d'opérette. Grâce de Monaco est morte elle aussi, des suites de ses blessures, après un accident d'auto. » Cela ne changera rien au destin de l'humanité. Juste un deuil ordinaire, la peine ordinaire d'une famille célèbre qui nous était familière par la grâce des gazettes. » Bonjour...
» Voilà donc de quoi est faite d'abord l'actualité de ce jour: de ces deux morts de gens illustres, qui n'ont certes pas le même poids sur les balances de l'histoire, mais qui offrent, l'une et l'autre, matière à réflexion.
» Gemayel d'abord. Il n'était guère besoin d'être expert en matière de politique libanaise pour prévoir que son élection, il y a trois semaines, à la présidence de la République du Liban, ne réglait pas tout...
» Après huit ans de guerre civile, dans un pays envahi, occupé au nord par l'armée syrienne, au sud par l'armée israélienne, seul un homme de compromis, d'équilibre entre les communautés, pouvait tenter de réaliser l'impossible: la réconciliation des Libanais, la reconstruction de l'État.
«Gemayel était tout sauf cet homme-là - dont on ne sait d'ailleurs pas s'il existe: chef de clan, baroudeur, et candidat, qui plus est, des Israéliens, son élection ressemblait à une gageure.
» Grâce de Monaco: l'image du bonheur sucré, véhiculée jusqu’à l'écœurement par la presse du cœur. On n'ignorait rien de sa vie - poids des mots, chocs des photos; des fredaines de sa fille aînée, Caroline; des émois de sa cadette, Stéphanie; des exploits sportifs du petit prince, Albert. » Malgré cette ronde folle des paparazzi autour de la famille Grimaldi, cette femme, aujourd'hui disparue, laissera le souvenir d'une personne de qualité. Cette roturière avait la noblesse naturelle; et le prince Rainier - dont le choix, à l'époque, avait surpris - ne s'était pas mépris. » Respectons sa peine, qui est sans doute immense. » J'ajoute - et c'est le seul point commun de ces deux décès survenus hier - que nous ne les avons sus, l'un comme l'autre, qu'avec bien du retard.
» Raison d'État? Pour l'un sûrement; pour l'autre, peut-être aussi.
» À 18 heures, hier soir, Gemayel était officiellement sorti indemne de l'attentat.
» Quant à Grâce de Monaco, ses blessures, nous disait-on, n'étaient pas graves.
» Même la mort, chez les grands, respecte des protocoles qui échappent au commun...»